M.Delpont, « EnergieSprong : massifier les rénovations performantes et en faire baisser les coûts »
Alors que les pouvoirs publics érigent en priorité la rénovation thermique du parc de logements hexagonal, voici une démarche intéressante et innovante. Venue tout droit des Pays-Bas, l’approche EnergieSprong affiche pour ambition d’engager un mouvement de rénovation énergétique à grande échelle en misant sur la coordination des acteurs du secteur. A l’occasion du dernier Congrès de l’Union sociale pour l’Habitat, Myral s’est d’ailleurs engagé dans ce mouvement en signant la charte aux côtés de plus de 50 autres entreprises (bailleurs sociaux, industriels, facilitateurs de projets, etc.). Explications avec Sébastien Delpont, coordinateur du programme en France au sein de la startup GreenFlex…
Quelle est la genèse du projet EnergieSprong ?
Sébastien Delpont : EnergieSprong est un mouvement européen dont le déploiement en France a été confié à Greenflex. Cette démarche s’inscrit dans le cadre du projet « Transition Zéro », financé par la Commission Européenne, et porte l’ambition de massifier les rénovations énergétiques lourdes et d’en baisser les coûts. Pour cela, nous voulons engager un véritable changement d’échelle du secteur, en alignant les intérêts de l’ensemble des acteurs de l’écosystème en fonction d’un cahier des charges ambitieux et dans un contexte de fort recul des aides publiques. Sur le terrain, l’idée est d’aller adapter à la rénovation les standards du neuf et d’aller même plus loin, en arrivant à un bâtiment zéro énergie, tout en garantissant une performance énergétique sur 30 ans. C’est une vision inhabituelle, qui sort tellement des sentiers battus, qu’elle en devient puissante !
Sébastien Delpont, coordinateur du programme EnergieSprong en France et directeur associé au sein de la start-up GreenFlex
Comment convainc-t-on les maîtres d’ouvrage de passer par des rénovations aussi ambitieuses ?
Sébastien Delpont : Il faut tout simplement faire comprendre que c’est le volume et la recherche des performances qui est bénéfique ! Ce marché existe et les architectes, bureaux d’études, industriels et entreprises de construction doivent être sensibilisés… Car qui dit massification, dit accélération radicale des travaux. Et cela passe notamment par l’utilisation de façades isolantes préfabriquées, de systèmes de chauffage, de climatisations intelligentes et de toitures isolantes équipées de panneaux solaires. Les coûts en sont foncièrement réduits malgré une très bonne qualité d’installation ! Plus d’une dizaine d’entreprises et de bailleurs sociaux précurseurs ont déjà manifesté leur intérêt pour ce projet.
La finalité : « sortir des ménages de la précarité énergétique et sécuriser les bailleurs »
Cette démarche a été lancée en 2012 aux Pays-Bas et rencontre un certain succès puisque. Quelle a été le cheminement pour qu’elle décolle ?
Sébastien Delpont : Les lancements ne sont jamais simples, mais là-bas, comme en France aujourd’hui, beaucoup d’acteurs ont suivi notre démarche et ont partagé la volonté de faire les choses bien et mieux... L’objectif est de réussir à aligner les idées et les intérêts des uns et des autres en créant un véritable mouvement collectif et collaboratif. Il faut par exemple simplement avoir la lucidité de travailler en équipe en commençant par collaborer avec ses concurrents. Car chacun doit avoir à l’esprit que le potentiel économique est très important et que la finalité est de faire sortir des ménages de la précarité énergétique et de sécuriser les bailleurs.
Projet EnergieSprong - Melick
Ce message est-il entendu et compris par les différents acteurs français ?
Sébastien Delpont : Oui, ce message est généralement très bien compris. Chacun essaie d’y contribuer à sa mesure. Nous avons 64 acteurs, dont Myral, qui ont signé la charte depuis le Congrès de l’Union Sociale pour l’Habitat à Marseille. Ils appartiennent à tous les segments : des bureaux d’études, des architectes, des industriels, de grosses entreprises (Enedis, Engie, GRDF). L’idée est maintenant d’inciter tous ces protagonistes à collaborer avec nous et de créer une véritable fusion collective pour atteindre le changement d’échelle souhaité.
« Avoir un spécialiste des systèmes d’isolation de façades est primordial »
Pour vous, est-il important qu’un industriel comme Myral s’engage dans cette démarche ?
Sébastien Delpont : Bien sûr, c’est très important ! Avoir un spécialiste des systèmes d’isolation de façades à ses côtés est primordial, d’autant que vous êtes un acteur innovant et l’innovation tient une place centrale dans notre processus. C’est notamment grâce à des entreprises comme la vôtre, que le mouvement EnergieSprong grandit et se développe. Forts de ces soutiens, notre travail est de faire comprendre aux maîtres d’ouvrage à quel point ces solutions peuvent être pertinentes et adaptées au marché de la rénovation.
Projet EnergieSprong - Oud-Vossemeer, VolkerWessels - Stadlander
Quels sont les projets qui ont été engagés sur 2018 ?
Sébastien Delpont : Depuis 2012, plus de 4 000 logements ont été rénovés aux Pays-Bas selon les exigences de la démarche EnergieSprong. En France, nous espérons faire encore mieux, avec 5 000 rénovations visées à horizon 2029. Dans ce sens, 2 premiers projets livrés en 2018 pour les bailleurs Vilogia et ICF Habitat Nord Est. Les maîtres d’ouvrage ont voulu commencer progressivement : il y a eu 10 logements individuels livrés pour Villogia à Lille et 12 chez ICF Habitat, filiale de SNCF Immobilier, à Longueau à côté d’Amiens. C’était une première étape pour ces 2 acteurs qui se sont engagés à aller plus loin à l’avenir et à rénover plus de 250 logements dans les prochaines années. Nous savons d’ores et déjà que Villogia lancera un marché à 160 logements en 2019… c’est un très bon début !
Créer un marché qualitatif fonctionnant sans aides publiques
En France, les gouvernements successifs ont mis en place des plans pour la rénovation énergétique des logements, mais ce marché peine encore à décoller… Comment l’expliquer ?
Sébastien Delpont : C’est un marché extrêmement complexe car chaque segment comprend des logiques différentes. Celui des copropriétés n’a rien à voir avec celui des bailleurs sociaux par exemple. Il y a également un certain retard dans l’utilisation de l’outil numérique : nous sommes toujours dans une logique de moyens beaucoup plus que de résultats. C’est un secteur dans lequel il y a finalement beaucoup à faire mais qui n’est pas encore passé à l’âge industriel. Or je crois que cette démarche globale est, au-delà de l’aspect environnemental ou économique, porteuse de liens et de valeurs. Et c’est en cela que nous sommes très ambitieux.
Vous décorrélez même cette dynamique de la rénovation aux soutiens des subventions publiques…
Sébastien Delpont : Absolument ! Le fait de ne pas utiliser les fonds publics est quelque chose de très important. Cela peut être compliqué à comprendre dans le système actuel, mais nous avons la volonté de consolider un marché très qualitatif qui fonctionnera par lui-même, sans l’aide de quiconque. Je pense sincèrement que nous avons besoin de passer par des approches radicales, plus industrialisées afin de tirer l’ensemble du secteur vers le haut et de proposer des innovations et des solutions encore plus performantes mais qui s’auto-financent. Au Pays-Bas cette démarche a grandi et a réussi à se développer à son échelle… alors pourquoi ce mouvement ne marcherait-il pas en France ?